LES ORIGINES ASIATIQUES
« Une journée commence mal quand le bain est plus chaud que le thé.»
José Artur
MYTHES ET LEGENDES Selon la légende chinoise évoquée dans le traité de phytothérapie Shennong bencao jing, l'utilisation du thé comme boisson serait apparue en l'an 2737 avant notre ère, quand des feuilles se seraient détachées d'un arbre pour tomber dans l'eau chaude que l'Empereur Shennong avait fait bouillir dans une jarre pour se désaltérer. Il était en effet usuel de faire bouillir l'eau avant de la boire. Ce dernier aurait alors apprécié le breuvage dont la consommation se serait généralisée. Une variante de cette légende veut que l'empereur, ayant testé toutes les plantes de l'univers, aurait ingéré par une erreur une plante soporifique ou toxique alors qu'il se reposait sous un théier. Une feuille de thé s'étant détachée de cet arbre, il l'aurait mâché et découvert ses vertus (stimulante ou antidote).
DEBUTS DE LA CONSMMATION DE THE EN CHINE En 2021, des chercheurs ont identifié des restes de thé dans un bol provenant d'une tombe de la ville de Zoucheng, datée d'environ 400 av. J-C. On retrouve des traces de thé dans une tombe faisant partie du complexe funéraire d'un empereur Han du IIe siècle av. J-C. à Xi'an, et une autre dans un cimetière de l'ouest du Tibet, vers le IIe siècle ap. J-C. Des récipients à thé datant de la fin de l'Antiquité ont été découverts, et un texte de Wang Bao, écrit en 59 av. J-C, mentionne des serviteurs allant chercher des caisses de thé. Le Er ya, dictionnaire chinois ancien, cite l’emploi des feuilles de l’arbre à thé en infusion. À l'origine, on s'en sert pour parfumer l'eau que l'on fait bouillir avant de la boire. Il est d'emblée apprécié pour ses vertus thérapeutiques, comme soulageant les fatigues, fortifiant la volonté et ranimant la vue. Il devient une boisson quotidienne en Chine sous la dynastie des Han de l'Est (25 - 220) et à l'époque des Trois Royaumes (220-280).
AU PREMIER MILLENAIRE Bu à l’origine pour ses vertus médicinales, le thé devient une boisson à la mode sous la dynastie Tang (618-907). L’État taxe trois grands produits : le sel, l’alcool, et le thé. Le commerce du thé se développe énormément au cours du 8e siècle, alors que le thé devient la boisson courante du peuple chinois. En 879, un voyageur arabe estime que les principales sources de revenu de la ville de Canton sont les impôts sur le sel et sur le thé.
Les briques de thé servaient notamment de monnaie d'échange pour se procurer des chevaux auprès des peuples du Nord, ainsi que tibétains, notamment à Kangding et Songpan, dans l'actuelle province du Sichuan, et à Shaxi (沙溪镇, xian de Jianchuan) entre Dali et Lijiang, dans la province du Yunnan. C'est ainsi que le thé s'est introduit dans les régions de steppe mongoles où de nos jours il est toujours préparé bouilli, salé, additionné de lait de yack ou de vache. Le tout premier ouvrage au monde traitant du thé, écrit par Lu Yu entre les années 760 et 780 de notre ère, est Le Classique du Thé. Dans cet ouvrage, il traite de la plante elle-même, mais aussi des outils à employer pour la récolte, de la qualité des feuilles, des accessoires nécessaires à la préparation, de l’histoire des plantation et de quelques buveurs de thé célèbres. À la même époque, dans le Nord de la Chine, vit Lu Tung, connu comme le « Fou du thé ». Poète et philosophe, il écrit : « Je ne m’intéresse nullement à l’immortalité, mais seulement au goût du thé ». Il écrit le Chant du Thé. Une tasse remplie d'eau ; à côté d'elle, une brique de thé. À l’époque de la dynastie Tang, le thé se consomme sous forme de brique, comme c’est toujours le cas au Tibet. Quand il est amolli par la chaleur, on le fait rôtir jusqu’à ce qu’il devienne tendre, puis il est pulvérisé. Lorsque l’eau commence à frémir, on y ajoute du sel : quand elle bout, on y verse le thé. La consommation de thé dépend cependant d’une certaine hiérarchie sociale. Les gens du peuple peuvent le trouver brut, en feuilles, en poudre ou en brique, ce dernier format étant le favori des amateurs. On utilise souvent le terme « soupe » pour le désigner, en raison des ingrédients au goût prononcé (oignon, gingembre, orange, menthe) qui y sont infusés. Le thé est servi dans des bols en bois. On considère à l’époque que le meilleur thé vient de Yang Hsien, dans le bas Yangzi Jiang. À la fin du VIIIe siècle, la Cour exige une fourniture annuelle de thé, qui s’élève rapidement à plusieurs tonnes par an. À la fin du siècle, on estime que 30 000 personnes sont employés à la cueillette et à la torréfaction du thé du tribut de la Cour, un mois par an. Vers le mois d’avril, les fonctionnaires du thé se réunissent pour faire des offrandes à la divinité de la montagne. Ensuite, des cueilleuses, souvent très jeunes, partent sur les pentes de la montagne à l’aube, et elles arrêtent à midi. Le reste de la journée, les feuilles sont torréfiées, séchées dans un four spécial puis mises en poudre et comprimées sous la forme de briques. L’opération doit être terminée le soir même.
SOUS LA DYNASTIE SONG Sous la dynastie des Song du Nord (960-1279) on prépare le thé battu. Les feuilles sont broyées sous une meule afin d'obtenir une poudre très fine, que l'on fouette ensuite dans l'eau chaude pour obtenir une mousse substantielle. Ce thé est aussi servi dans un grand bol commun à plusieurs convives. En 1012, Tsai Hsiang compose le Ch’a lu (茶录, chá lù), l’art du thé impérial. Le thé est introduit au Japon au début du XIIe siècle par le prêtre bouddhiste zen (nom japonais du Chan), Eisai, et ce mode de préparation y est encore pratiqué lors de la cérémonie du thé (chanoyu).
SOUS LA DYNASTIE MING À partir du début de la dynastie des Ming, en 1368, la Chine se concentre sur le reboisement et inclut le théier, installé dans plusieurs nouvelles provinces chinoises. Un effort est fait pour ramener le tribut du thé à un taux modéré, soit environ 1 % des récoltes comme sous l’époque Tang. Les petits propriétaires recommencent en conséquence à cultiver le théier.
EN COREE En Corée, le thé entre dans la vie quotidienne dans la période Silla Unifié (668-935). Kim Taeryom, un envoyé coréen, obtient les premières récoltes sur les pentes du mont Chiri, dans le Sud de la péninsule. Des offrandes de thé sont souvent déposées devant les statues de Bouddha et les plaques commémoratives des esprits des ancêtres. Le thé en briques est utilisé pour ses propriétés médicinales.
AU JAPON L'empereur Shomu offre du thé à des moines dans son palais dès 729. Ses feuilles sont importées par un ambassadeur à la cour Tang. À l'époque de Nara, le Japon entame une politique d'imitation délibérée et systématique de la culture chinoise, incluant le thé. Des prêtres bouddhistes diffusent les textes sacrés au Japon, et des moines japonais ramènent du thé sur l'archipel. Le moine Saicho, compagnon de voyage de Kukai, ramène des plants de thé et en plante à Sakamoto.
Vers 1200, le Japon s'initie au thé de l'école Song : la mousse composée de poudre de thé et battue dans l'eau chaude fournit la base de la cérémonie du thé. En 1202, Eisai plante cinq plants de thé dans une poterie à Uji, près de Kyoto. Ce thé donne le matcha, un thé en poudre d'abord apprécié pour ses vertus médicales décrites dans Kissa-yojo-ki (Mémoire sur le thé et la conservation de la santé). Au quinzième siècle, les Japonais organisent des concours de dégustations de thé accompagnés de grands festins. On parie des sommes énormes sur le meilleur goûteur au cours de ce tacho, un jeu-concours importé de Chine. Dans ce divertissement, des invités doivent discerner le thé produit dans la meilleure région. Takeno Joo (1502-1555) développe un nouvel art du thé, le Wabi. La cérémonie se déroule dans un petit pavillon, avec des ustensiles modestes et discrets, s'opposant complètement au tacho. Le disciple de Takeno Joo est Sen Rikyu (1522-1591), qui crée sa méthode propre en mélangeant les différents styles de thé pratiqués jusqu'à son époque. Cette méthode est connue aujourd'hui sous le nom de Voie du thé. Rikyu identifie l’esprit de la Voie du thé aux quatre principes fondamentaux d’harmonie, de respect, de pureté et de sérénité. L’harmonie naît de la rencontre entre l’hôte et son invité, de la nourriture servie et des ustensiles utilisés. Avant de servir le thé, l’hôte offre une friandise ou un léger repas à l’invité, et ce qui est servi doit correspondre à la saison. La pureté est exprimée par le geste de nettoyer pendant les préparatifs du service, et après le départ des invités en rangeant les ustensiles et en fermant la salle de thé. Rikyu invente des bols Raku rouge et noir pour la cérémonie, qui font ressortir le vert de la poudre de jade ajoutée à la mousse du thé. Il introduit aussi l'usage du vase de bambou comme réceptacle du bouquet de fleurs indispensable à toute cérémonie : c'est une base de l'ikebana, l'art de l'arrangement floral au Japon.
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